Pierre Parlant : Qarantina

 
par Stéphane Baquey

Être écrivain-poète, philosophe de formation, et habiter une ville inconnue pendant quarante jours, dans le cadre d’une résidence d’écrivains, pour que cela aboutisse à un livre : telles sont les conditions de l’expérience. Pierre Parlant s’y est pleinement exposé, dans un effort et un abandon au style, autrement dit au maintien dans sa langue d’un toucher juste pour se laisser sentir la chose phénoménale qu’est une ville, cette ville. Écrire la ville est ici éveil à une multiplicité de perceptions, depuis la chambre où je se désensommeille en consentant à une pluralité d’affections et de rapports : « rassuré car à présent je sais que cette ville m’échappe ». Écrire la ville, c’est aussi laisser venir les signes de cette ville, savoirs et fictions, sans programme de recherche, en partant du nom de la ville, qui « prête une contenance ». C’est circuler dans cette ville, seul ou avec de bienveillants psychopompes : « la jeune femme qui me guidait ce jour-là »… Or il se trouve que cette ville échappe à la saisie. Les perceptions ne s’enveloppent pas dans l’unité. Elles glissent sur un rien très ancien qui aujourd’hui dérive de manière superlativement inquiétante. Le livre réfléchit le style qui dit la ville : « la phrase peine, l’occupation du sol ruine l’idée ; pas de loi synthétique, déplacement reconduit, circonférence partout, centre introuvable, la rhétorique seule du proche en proche ». Ce qu’il reste du poème est une phrase rompue, avec bizarreries typographiques. Il y a dans cette ville des lieux du rien hyperbolique, tel cet endroit caverneux dévolu à la fête alors que la mort violente s’y est produite : « il est question de vivre le vertige lui-même, non de considérer ces causes. » Il y a aussi la langue de cette ville, que je écoute sans la comprendre, mais dont les mots le traversent, par la grâce du chant : « des sons inouïs passent par ma gorge ». Il rêve ainsi sur le duel qu’a conservé la langue de cette ville, petite idylle linguistique. Le livre est aussi une lettre d’amour à une femme inconnue, passante des réseaux. BEYROUTH est cette ville, miroir brisé du présent, شظايا مرآة الحاضر.




Share on FacebookTweet about this on TwitterPin on PinterestShare on TumblrEmail this to someone
cipM / Spectres familiers
‘‘‘Le Refuge en Méditerranée’’’
40 p., 14,00 €
couverture