Henri Poncet : L’Oiseleur

 
par Yves Boudier

« aucun souvenir aucune peur / j’aurai la paix de l’ondoiement » écrit le poète oiseleur aux chemins croisés d’une forêt aux pentes fabuleuses que dévalent neiges et sources vives, nuages et ciels de nuit, corps et âmes de femmes et d’enfants, eaux marines et sang noir, du passage secret de la solitude à la célébration de la chair, du temps naturel à celui qui prépare les révolutions, verres et pierres en main pour célébrer les « amours ensoleillés » et le temps de l’innocence, « l’heure indomptable d’un nouveau monde ».

L’oiseleur est-il la métaphore de l’éditeur, de celui qui veille à l’éclosion et à l’envol de l’œuvre naissante ? Ces poèmes confirment bien par anticipation, et paradoxalement pour nous rétrospectivement, les qualités qui président au beau métier de découvreur, de chasseur de textes. Ils portent le témoignage dans leur facture et leurs thématiques d’une culture et d’une connaissance fine du patrimoine poétique des contemporains de ces années soixante, riches de l’héritage à la fois des classiques, de l’extrême dix-neuvième siècle rimbaldien et  / ou mallarméen, de la percée exemplaire d’Apollinaire et des inventions stellaires de la galaxie surréaliste. Ajoutant à cela l’écriture d’un Georges Bataille, le sens du politique et la conscience de l’inconscient toujours présent dans le corps de l’être et du poème, Henri Poncet toucha au cœur de l’expérience de l’écriture et, percevant avec lucidité et intelligence ce qu’il pensait être ses limites intimes, sans basculer dans l’hallucination de soi et hors de toute vanité, il orienta cette énergie du geste poétique vers l’Autre et ouvrit dans une volonté gourmande l’espace de la revue et du livre à ses compagnons et voisins en écriture : il se fit éditeur et referma le carnet du poème. Si l’on a ainsi perdu un poète exemplaire, la poésie a gagné un passeur d’exception. Et, l’homme disparu, nous revenons à la source, aux poèmes. Nous connaissons désormais son secret et nous savons ses héritiers : c’est un honneur.

Regarder avec précision l’ordonnance de ce beau livre, sa progression profonde jusqu’à l’intimité, depuis la célébration du monde, celle d’une érotique panthéiste incarnée, jusqu’à l’appel et le goût du collectif, c’est comprendre et partager l’émotion rare d’un poète éditeur attentif à la vie avant tout. Attentif à toutes ses formes, tant naturelles qu’humaines, des plus ténues aux plus vives.

Henri Poncet publia sans répit, contre vents et marées, ne se privant pas d’éreinter chemin faisant les arrogants ou les pisse-froid, poèmes, essais, proses, notes critiques, œuvres théâtrales et philosophiques, livres d’artistes, anthologies, toutes formes où la poésie irradie la pensée et la lettre du texte. Selon une devise que ces vers expriment : « où suis-je où tu n’es pas (…) vivre un instant qui n’est pas du temps / aux portes du vertige où je nais en poésie ».1




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Un Comptoir d’édition
112 p., 13,00 €
couverture

1. Cette nouvelle édition reprend sans modification l’originale de L’Oiseleur, parue chez Guy Chambelland éditeur, le 5 décembre 1960.