Jacques Estager : Fée et le Froid

 
par Sylvie Durbec

Dès le titre, le lecteur sait qu’il va entreprendre un cheminement singulier. La densité du texte, le choix d’écriture, les six sections du recueil, tout est là pour l’entraîner dans un pays de poésie dont l’originalité se manifeste tout au long du parcours. Le poète s’adresse aux lecteurs : Il y a un message de restez, venez derrière votre porte. Voilà une initiation au lire autrement, où la langue est à découvrir comme une langue originale. Des figures féminines traversent le livre, de Fée à Julie et Juliette, sans oublier Béatrice, Iris, certaines déjà croisées dans les recueils précédents, le plus souvent seules mais parfois apparaissent des compagnons tel Pierrot, double du poète, dans la quatrième section, la plus brève, et d’autres plus mystérieuses encore dont seules les robes vides peuplent les salles de bal, transparentes mais les hôtesses et invitées. Nous allons ainsi apprendre la langue de Jacques Estager, langue amoureuse et mystérieuse, entendre son monde, de la mort à la danse, du deuil aux retrouvailles, à travers des lieux énigmatiques où l’absence reste puissante et en même temps porte le poème. Jacques Estager est ici l’inventeur d’un univers dont il nous livre les clés si on laisse opérer la magie : car d’enfants il n’est plus rien au monde, écrit-il. Ce monde est marqué par différents aspects, le froid (présent dès le titre), la nuit, la neige et le deuil, et par des lieux comme les terrasses, la salle de bal, l’Hôtellerie ou encore le cimetière des Cendres. Et moi, attendant la nuit, qu’elle passe, Pierrot-poète étoile son attente de mots. La présence de nombreuses majuscules leur donnent une force étrange, rappelant l’usage qu’en a fait Emily Dickinson :

le Désir n’est le Regret dans la tristesse d’encore la soirée,
jusque de tout autour de nous et, à la nuit partout, le Lieu.

Certains mots sont aussi employés dans leurs deux acceptions comme dans la cinquième section : tous deux enclos à la nuit de l’enclos. Le mouvement du texte va graduellement vers l’ouvert, comme si le livre refermé devait encore se rouvrir avec la dernière section où la lumière devient la fée du titre, Luce, nouvelle et ultime figure féminine, celle qui conduit le poète :

ventre nu, jambe nue et celle Luce : on s’éveille,
tout comme les personnes, de Aurore au point du jour,
du premier d’obscurité puis de Luce (…)

et éloigne le froid grâce au chant et aux roses respirées. Le rêve d’une unité perdue, d’une permanence ressurgit. Le chant est le nom.
Nous aurons ainsi traversé les lieux du poème en compagnie d’ombres et de parfums, de couleurs (celles dorées des tapisseries, le rose des jardins lunaires et des fleurs, le noir de la nuit et le blanc de la neige) et accompli un parcours d’une rare poésie.
À la toute fin du recueil, le poète peut signer d’une lettre dont l’apostrophe ne clôt pas le poème, pas plus que son nom : j’.




Share on FacebookTweet about this on TwitterPin on PinterestShare on TumblrEmail this to someone
Lanskine
48 p., 12,00 €
couverture