Jean Daive : L’Exclusion

 
par Alain Cressan

Deux images dans la récurrence : une photographie représentant André Malraux devant une centaine de documents posés sur le sol ; une photographie d’Aby Warburg devant un panneau de l’Atlas, accroché au mur. Deux plans, l’un horizontal et l’autre vertical, dont on pourrait considérer qu’ils dessinent, dans leur configuration imaginaire, un espace, celui d’un musée imaginaire. Espace mental : celui du voir, et du travail de la mémoire. Sur plusieurs plans.
On peut regarder le livre de Jean Daive comme un espace similaire : espace multiple, fractal, qui est celui d’un théoricien à cheval entre plusieurs disciplines, de l’autobiographe, de l’auteur d’entretiens1, du documentaliste-archiviste2… Un livre en mouvement, entre différentes lectures possibles, qui se trouvent liées autour d’un nœud, un nexus, point de fuite en sa part négative : l’exclusion. « Et le regard est une autre mesure qui met le monde en crise. »
Le regard, donc, en crise, en question3, dans l’agrégat du je, et sa remise en distance ; constructions (« Parce que regarder est voir une surimpression d’espace, de signe et d’image » ‒ « Je vois, je pense une combinatoire aux éléments discontinus ») par une ruine de la mémoire toujours vive, paradoxes du voir-vivant et du déjà-vu dans une mouvance cartographique imagée (« Tout est mouvement. Pas de répit. Pas de repos. Cela bouge d’une façon permanente, ici et partout »).
L’exclusion fait énigme, en ce qu’elle est concentration du regard et de ses mouvements, et leurs pertes-rattrapages successifs – avec ce qui travaille en arrière-fond, du côté inconscient de l’œil interne : « Ce qui m’est projeté en énigme fait l’objet d’une trajectoire. La conscience d’une trajectoire fait l’objet d’une trajectoire incontrôlable, non mesurable en conscience et chargée d’une capacité de présence sans principe. Sans fin. »
Et, soulignerait-on, la voix, celle de l’auteur, comme en basse continue de ce livre radical.




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Galerie Jean Fournier
« Beautés »
230 p., 20,00 €
couverture

1. Rauschenberg, Baltus, Beuys, Bacon, Maria Broodthaers et un dialogue visuel avec Buraglio, fermant-ouvrant le livre.

2. Une conférence étonnante de Marcel Duchamp, historien d’art.

3. À la phrase célèbre de Marcel Duchamp (« Ce sont les regardeurs qui font les tableaux »), fait écho une phrase de Balthus : « C’est l’affaire du spectateur. » (p.163)