Emmanuèle Jawad : Plans d’ensemble / Faire le mur

 
par Claude Chambard

« La photographie c’est la vérité. Et le cinéma c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde », fait dire Jean-Luc Godard à Michel Subor dans Le petit soldat. Ces deux livres d’Emmanuèle Jawad en font, en quelque sorte, profession de foi – car en poésie tout est possible –, afin de cerner, détourer, mettre au net « une amorce d’histoire dans suite d’entames » où « Anna longe / profond la ligne / explore un récit » – façon de réunir les livres en deux citations. JLG filme, Jawad écrit le compte rendu pour une tentative d’approche de la vérité de ce que nous pouvons – ne pas – voir, – ne pas – entendre, – ne pas – lire, « l’épuisement d’un lieu par ajouts, superpositions de fragments / dont le cousu défait redonne une clarté au site, s’adonne à la déambulation ». Mais les caméras qui ne lâchent pas Anna au risque de l’épuiser, deviennent caméras de surveillance et, littéralement, sous nos yeux lieux et temps sont tissés pour lutter, sans doute, contre ce qui empêche « les circulations libres ». Au cœur, de Faire le mur, une série pour la télévision – ce n’est pas rien, la télévision, en quelque sorte, nous surveille, nous renvoie à ces caméras de surveillance dont notre monde est envahi – Berlin Alexanderplaz (1980), de Rainer Werner Fassbinder, tirée du fameux livre d’Alfred Döblin, dans lequel le réalisateur est à la fois la voix du narrateur et joue son propre rôle. JLG, Fassbinder, Döblin, Anna Karina et le mur – multiple et unique, où qu’il soit (Berlin, Sonora, Belfast, Gaza…) – quelle qu’en soit la raison, cette violence du mur qui empêche « l’élaboration de voyages / sur des frontières extensives ». Migrant, déporté, pauvreté, sont au cœur de ce travail exigeant, patiemment mis en espace, pour comprendre, par exemple, « quels enjeux critiques et politiques traversent le travail d’écriture ? » (lire à ce propos les entretiens d’Emmanuèle Jawad avec Véronique Bergen, Nathalie Quintane, Sandra Moussempès, sur Diacritik : https://diacritik.com/2016/07/20/creation-et-politique-un-cycle-dentretien-demmanuele-jawad/).

Ce travail de littérature, ce travail où des mots sonnent et résonnent, où prose et poésie s’entremêlent dans des répons et compléments qui fondent le sens dans la forme est celui d’une jeune femme qui tente de déchiffrer, d’éveiller, et tant pis, tant mieux, s’il faut pour cela en passer par « des focales brutales », afin d’écrire un livre qui tourne rond mais pas en rond afin de dire le monde puisque c’est encore possible « dans la grammaire impossible des trajectoires ».




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Plans d’ensemble
Propos2éditions
72 p., 13,00 €
couverture
Faire le mur
Lanskine
80 p., 12,00 €
couverture