André du Bouchet : Entretiens avec Alain Veinstein

 
par Siegfried Plümper-Hüttenbrink

De 1965 à 2000, Alain Veinstein eut avec André du Bouchet nombre d’entretiens tant privés que publics. Malgré l’accueil quelque peu abrupt qu’il réservait à ses visiteurs, Alain Veinstein fut d’emblée subjugué par la véhémence de sa voix, au débit sec et saccadé, et qui se risquait parfois à bégayer, en prise avec quelques vocables plus que rudimentaires et qu’André du Bouchet devait juger décisifs pour l’élaboration du poème. On sait qu’il avait coutume tout en marchant d’en prendre consigne sous forme d’annotations hâtives dans des Carnets de route. Au marcheur forcené qu’il fut toute sa vie durant, ils étaient autant de jets et de gués de hasard avec lesquels pouvoir prendre langue, toucher terre ou fendre l’air. Tout porte même à croire qu’une mentalité quelque peu fruste et irascible de primitif l’habitait à son insu et qui dut parfois l’amener à entendre l’herbe pousser ou à voir de l’air se fendre sous ses yeux. Prodiges dira-t-on, ou simples troubles de la perception ? Toujours est-il que sa poésie présente par endroits des relents quasi chamaniques. N’a-t-elle  pas, au dire même d’Alain Veinstein, pour visée initiale d’insuffler aux mots l’air, l’à vif d’un souffle qui tour à tour tranche ou laisse en suspens, et qui  leur fait toujours défaut. Cet air, éminemment phonique, et dont il est fait appel par maintes reprises de souffle, enjoint aussi aux mots d’avoir enfin à parler, à se prononcer séance tenante. Leur accordant en quelque sorte l’entière initiative de ce qui va être dit, tout en s’abstenant de vouloir leur faire dire quoique ce soit. Chemin faisant, le marcheur qui se sera mis ainsi à leur écoute constate qu’il faudrait, pour bien faire, qu’il ne soit pas là, introuvable dans le paysage qu’il arpente de ses pas. Et s’il se doit de s’éclipser dans son dire, n’est-ce pas pour qu’en contre-partie puisse advenir l’être là mutique, non-dit, presque monstrueux des choses, et ce par ce « précipité de mots » qu’est in fine, à l’état de bris et chutes syllabiques, tout poème dès qu’il reste unterwegs, sous l’emprise des chemins qu’il lui reste non pas tant à fixer qu’à frayer à même la ligne d’horizon. Une ligne qui, à l’instar du poème, ne cesse de reculer et de se dérober à qui tente de l’atteindre.




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L’Atelier contemporain / INA
120 p., 20,00 €
couverture