Estelle Fenzy : Rouge vive

 
par Alexandre Ponsart

Après Chut aux éditions La Part Commune et Sans aux éditions la Porte, parus en 2015, voici Rouge vive d’Estelle Fenzy. Comme si les deux premiers titres annonçaient le troisième. Silence, dépouillement et éclosion de la fleur. De la femme.

Deux voix se font face, l’une masculine et l’autre féminine, marquées par le style typographique. Italique pour la femme et police romaine pour l’homme. L’une répond à l’autre. « La première fois / elle descendait vers la forêt / Belle comme un enfant » (…) La première fois / j’allais à la forêt / brûler ma révolte / dans les buissons / de houx. Mais à y regarder de plus près, ne s’agit-il pas plutôt d’un « petit garçon » et d’une encore fille ?

Raconter l’enfance dans l’écriture même. Par des vers courts et concis où la ponctuation est mise de côté à l’exception d’un point d’interrogation. « Veux-tu que / ce soir / je t’emmène / là où poussent / les roses sauvages ? » Épurer le poème pour dire l’essentiel. Enfant joyeux qui découvre le monde avec la simplicité et la lucidité de son âge. « Porter sur mon dos / cartable déchiré (…) mes mots tombés / lucioles / sur l’argile sèche du seuil ».

L’enfance ne dure éternellement. Voir les roses sauvages est la transition à l’âge adulte. Le point d’interrogation est l’éclosion de la rose féminine. « Je t’emmène / là où poussent / les roses sauvages (…) Sur la rive de feuilles humides / elle s’est offerte » (…) Il sera mon premier homme / celui qui fait couler le sang. Histoire d’amour charnelle, sensuelle qui ne cesse de croître tout au long du poème. « Je suis la faim la soif / la fureur au bord de moi » / « Je suis la sève montante / le bouillonnement des mousses » (…) Il a frappé à ma porte / m’a tendu un bouquet grenat. Les deux voix ne cessent de mettre en lumière leur attirance mutuelle qui s’achève par une étreinte. « Elle s’est blottie / dans l’étau de mes bras » (…) Il m’a guidée / vers son refuge / Maison tiède (…) allongée / Je nomme aveu / mes mouvements de fruit.

Cet amour a pour compère la tragédie qui dès le départ accompagne nos protagonistes. « La solitude / mon manteau / m’accompagne / tout le jour » (…) Je suis la dépossédée / Mon promis est mort à la guerre / j’étais encore fille (…) Cercueil chair et brique / d’un baiser fantôme. Rose, certes, mais rouge sang puisque le sang / sur la neige a gelé. Histoire d’amour tragique qui a pour acte final une mise à mort. Dans sa main droite / une pierre (…) J’ai frappé son front. La vie doucement s’est fanée dans ses yeux étonnés / Et sur sa bouche / ronde et rouge / Clameur éteinte / rendue à la rivière / Rose parmi les roses / Sauvage ».

Comme la rose, de forme circulaire, ces derniers vers font écho au couplet de la chanson Where the Wild Roses Grow de Nick Cave qui est mis en épigraphe du livre.

From the first day I saw her I knew she was the one.




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Dessins de Karine Rougier
Al Manar
72 p., 15,00 €
couverture