La poésie comme la maison. La maison a été brûlée, l’habitant persécuté, des amis proches ont été tués. La poésie a ainsi été renvoyée à une condition sans mots. La poétesse et l’ex-militante des droits des femmes Dolores Dorantes (1973) quitte le Mexique en 2011 après l’incendie de sa maison, les menaces, l’assassinat d’amis journalistes. Réfugiée politique aux États-Unis elle se tait longtemps puis écrit le poème Style : un chant de gloire au bourreau, un tombeau ouvert, le chant nuptial des victimes. À Ciudad Juarez on ne fait pas que tuer des femmes : on les viole, on les torture, on les défigure, on les démembre puis on les jette dans le désert, par centaines ; parfois on filme. Style ne nomme rien. Les jeunes filles de Style figurent une voix impersonnelle et florale, elles attendent l’assaut du bourreau et travaillent son désir. Elles parlent depuis la mort. Ce faisant elles mettent à nu les protocoles du désir, ce sont elles qui déshabillent symboliquement le bourreau : « Détruis-nous la bouche. Entre. Torture-nous dans d’autres réalités. Prends-nous avec la pensée et la parole. Mets-nous à genoux ». « Nous arrivons là comme la négation pour que tu nous extermines dans la tentative. C’est à toi de décider. Quelle mesure mentale. Avec quel laps de temps et selon quelles intermittences. » « On ne nous trouvera pas mais nous saluerons depuis l’écran ».
Cathy Fourez produit en postface une analyse géopolitique et littéraire glaçante. Aujourd’hui Dolores Dorantes survit quelque part entre Los Angeles et El Paso. « Si je rentre à Ciudad Juarez, on me tue ». Traduite en l’anglais, elle continue d’écrire, elle informe régulièrement son blog. Les éditions L’arbre à parole (David Giannoni, Antoine Wauters) verseront le produit des ventes directement à l’auteur. Il faut aider Dolores Dorantes.