Jakub Deml : Lumière oubliée

 
par Sébastien Hoët

C’est à un passionnant défrichement des littératures tchèques que se livrent les éditions Fissile. Jakub Deml renvoie au placard tout ce que nous lisons aujourd’hui en matière de romans ou d’« autofictions » : voilà un écrivain mort dans le plus grand dénuement en 1961 mais qui n’a jamais rien cédé à l’occupant allemand (il a proposé de prendre la place d’otages sur le point d’être fusillés), au régime politique, à l’orthodoxie catholique (il fut ordonné prêtre puis rapidement mis en congé), au prestige de la reconnaissance artistique (il a publié à compte d’auteur et ses manuscrits ont pour l’essentiel circulé sous le manteau). Cette fougue sidérante perce dans ce très beau livre, où Deml apparaît clairement pour ce qu’il est, un Léon Bloy tout aussi agité que le belluaire français, mais qui va plus loin dans le ravage de la narration : le livre commence par la réception par Deml d’une lettre élogieuse, et continue sur le mode d’une réponse au destinateur, réponse démesurée, passant par l’explication des rapports difficiles de Deml avec la foi, les littérateurs tchèques, l’amour de sa vie (une femme mariée, atteinte de folie), des extraits de journaux, etc. Prélevons dans ce magma génial : « (Jésus) Si tu veux me dégoûter de Ton propre Évangile et de ma propre mort, accorde-moi la satanée grâce d’aimer une folle » (p. 105). Livre stupéfiant, profondément désarticulé, mais terriblement vivant, et aujourd’hui, c’est mérité, l’un des monuments de la littérature tchèque.




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Traduit par Erika Abrams
Nouvelle édition revue & augmentée
Fissile
« Háček »
192 p., 20,00 €
couverture