Sébastien Hoët : La contre-heure / Par la fenêtre

 
par Victor Martinez

La contre-heure, sous-titrée « roman », est en réalité un poème au sens russe du terme, comme Pouchkine ou Gogol en ont fait, qui inversement sous-titraient leurs romans « poème ». « Le roman et sa bêtise intrinsèque », écrit Hoët (p. 61), est un contre-sens sur l’écriture comme sur la vie. La réalité est la parole doublée du fantôme que perçoit seul le poème. Ainsi apparaît l’aérolithe d’une maîtrise redoutable qu’écrit l’auteur. Et, derrière la destruction indispensable et sans appel du genre comme de l’époque, que n’importe quel esprit sensé partagera, la générosité sans fond envers la vie. Écrire : « Écrire ne consiste pas à poser les mots, même pas à user d’une langue maîtrisée, écrire c’est voir enfin, garder, préserver, et rendre aux autres, faire voir, faire jaillir, laisser s’effuser ce qui ne nous apparaît pas dans la répétition des jours mais, seul, véritablement, est » (p. 71). La poésie : « De cette fatigue il avait retiré une vue rêveuse sur le monde, distanciée mais poisseuse, intelligente et effrayée, qui lui permettait d’écrire des recueils de poèmes que personne ne lisait même s’ils étaient publiés, des poèmes étranges où des mondes froids, déserts, déploient des zones minérales bien éloignées des poèmes séniles bégayant sur les oiseaux et les fleurs des champs écrits par de gentils vieillards pour les professeurs de français et leurs anthologies » (p. 61). Les femmes : « Le problème, pensait Gilles, ne regarde pas les femmes, d’ailleurs, le féminin, mais bien ce qu’elles ont coupé d’elles – cette puissance d’expansion, cette terrible force objective que Gilles admirait chez Colette, chez Tsvetaïeva, chez Joyce Mansour, chez Jean Rhys, chez Anaïs Nin, chez Ingeborg Bachmann, chez Flannery O’Connor… » (p. 70). Enfin Hoët est encore un des rares contemporains à citer Viarre, que ne cite à peu près personne. Il est absolument impressionnant que les éditions Kero aient publié une telle œuvre.

« Il faudrait les protéger » – ce sont les derniers mots de Par la fenêtre, qui éclairent sur ce qui est en cours : une exposition sans précédent de l’espèce, au sens antelmien, et un viol muet de la chair comme de la langue. Langue charnelle en effet, mais pas celle de l’immanence et de la profondeur : celle de la férocité et du bouleversement. Un esprit de conséquence a raison du poème ligne après ligne : « il te mange / l’ennemi », « il te force » : il est « bossu profondément / c’est forcé », et « tu dois te / modifier ». L’exposition induit la modification et la corruption de la voix : qui parle est déjà supprimé, peut-être. Ce dédoublement, ou division dans une ambiguïté qui prend le pouvoir, produit la violente séparation interne qui saisit le lecteur. Elle l’attaque, lecteur confronté et comme lié alors à « l’ennemi ». Tel est le poème désossé, nu, d’une vitalité maladive, d’Hoët, mais non froid, étonnamment animé, fauve, furtif et brutal. Ou bien le froid minéral a aussi sa figuration sanguine qui passe par la matière silencieuse, douloureusement aboyée ou déflagrée du corps. C’est dépassionné et c’est mortel. L’attente « par la fenêtre » est traversée par des visages sans figuration à la vitesse de la lumière. Et c’est bien pourquoi « l’homme », « le chien », « la mère et la sœur (qui) grandissaient – il faudrait les protéger ».




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La contre-heure
Roman
Kero
216 p., 15,90 €
couverture
Par la fenêtre
Fissile
« maigre »
16 p., 5,00 €
couverture