David Lespiau : Poudre de la poudre










1. Revue de Littérature Générale n°2, section 18, P.O.L, 1996

2. Entretien avec Claude Chambard, CCP n° 28, p. 55

3. « L’adoption du présent désignerait la succession des pages conçues comme lieu et scène, avec même nombre de lignes, de lettres, ou les mêmes. Ou figures de fond dont chaque lettre égalerait un point pictural. » (Éditions de l’Attente, Hors-commerce, 2004, p. 9). Le texte est lu dans la vidéo Poudre de là réalisée par Isabelle Rozenbaum pour D-Fiction.

4. Voir en particulier les premières pages du texte, publiées sur Poezibao.

5. « mains de grossiste en faïence » (p. 10), « trébuchés d’air ahuri » (p.24)

6. « la monnaie de l’ensoleillement de la pièce » (p. 32), « pince des mots avancés en crabe » (p. 38)

7. L’association d’une « grue jaune » et d’un « tigre » p. 9 ne permet pas de trancher : s’agit-il d’un engin, d’un animal, d’une posture de boxe chinoise ? De même, le mot « lunules » p. 29, que son contexte immédiat rattache au motif du cou, est pris dans un réseau qui le lie à la fois aux doigts et phalanges des p. 14-15, à la valve des coquillages de la p. 21, aux insectes de la p. 33...

8. « là rapide file simple le parasite » (p. 40), « dure la double petite forme granulaire » (p. 41)

9. Se ferment ainsi des parenthèses qui n’ont pas été ouvertes, ou le seront à la fin du paragraphe, invitant à le lire en boucle (p. 38 et 39).

par Julien Le Gallo

Poudre de la poudre clôt une série entamée par « De la poudre »1 et dont L’épreuve du prussien et Quatre morcellements ou l’affaire du volume restitué ont été les développements successifs – « projet autour du sucre », explique David Lespiau, « ses états, ses formes, structurant tout un matériau biographique ou fictionnel qui s’est agrégé, organisé autour »2. L’épreuve du Prussien articulait mouvement de rotation (d’une cuillère dans une boisson chaude, de la bobine de cinéma, des pages dans la lecture, du jambage des lettres dans l’écriture manuscrite) et motif de la dissolution (du sucre dans la boisson chaude, du rêve dans la conscience au réveil, des impressions visuelles, des souvenirs dans le flux temporel). Boucle ou hélice du contenu du texte étaient mimées formellement par l’alternance des vers longs et des alexandrins. Dans Quatre morcellements..., c’est le volume du sucre qui était restitué : nombre de vers et de syllabes épousaient à chaque page les différentes faces d’un sucre domino, l’enveloppant avec un plaisir glycophile d’une collection de vignettes textuelles, dérobées dans des catalogues d’œuvres plastiques. Poudre de la poudre désoriente à nouveau : là où on s’attendrait à un texte pulvérisé, dispersé sur la page, le livre propose une prose soigneusement justifiée, sur le modèle que décrivait [Autocuiseur]3. Sans début ou fin nette, chaque paragraphe a l’apparence d’une zone de texte découpée, à la manière d’un cadre que l’on aurait promené sur un ensemble plus vaste pour en isoler des éléments singuliers, ou d’un plan serré laissant une partie de la signification hors-champ. Des ellipses, une série d’associations d’idées dont les relations sont masquées et semblent graduellement se distendre, entrelacent réflexions sur l’écriture et la perception4, fragments biographiques et épisodes narratifs. À la lecture le texte est lisse, fluide, presque aqueux, et simultanément opaque : mots passés au tamis, occupant d’abord un espace, scène ou étal, offrent l’énigme d’un texte qui se présente comme une surface. Rien ne vient achopper dans la lecture ; le travail sur le signifiant est présent mais discret, l’effort porté au style ne passe pas par la violence d’un choix formel imposé à l’objet. Le sens, pourtant, vacille : certains termes peuvent être rattachés à différents segments de la phrase5 ; ailleurs ils s’espacent, laissant s’intercaler de nouveaux éléments6. Leur signification est parfois brouillée par ceux qui les suivent7, quand ce n’est pas sur leur catégorie grammaticale que l’on hésite8. Le sens a la forme d’un tas de poudre : il s’effondre, se reconfigure à chaque ajout d’une nouvelle unité sémantique. Les segments du texte forment de fait des grains semi-autonomes, susceptibles de s’agglomérer, de s’articuler dans des structures plus vastes, celles de paragraphes, eux-mêmes en partie indépendants9. Phrase, paragraphe, section, livre : autant d’éléments dont le statut d’unité n’est pas clairement assuré. Le texte ne trouve ainsi son lieu ni dans le réel (on sait rarement nettement ce qui est désigné), ni dans la langue (la corporéité du texte est peu marquée) ; il semble en suspension entre les deux. En Belgique, c’est de sucre impalpable que l’on parle pour désigner le sucre glace – image peut-être satisfaisante de ce texte, que le grain ajouté par l’écriture fait fréquemment tendre vers l’abstraction.




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Poudre de la poudre
Le Bleu du ciel
48 p., 10,00 €
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Quatre morcellements ou l’affaire du volume restitué
Le Bleu du ciel
64 p., 10,00 €
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L’épreuve du Prussien
Le Bleu du ciel
56 p., 10,00 €
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