Éric Pessan : Parfois, je dessine dans mon carnet / La Hante

 
par Hervé Laurent

Un Pessan chasse l’autre

Éric Pessan publie pas moins de trois livres cet automne1. Parfois, je dessine dans mon carnet, entièrement illustré, prend la forme d’un journal intempestif : la date du jour est invariablement remplacée par « Parfois », façon de montrer la circularité d’une temporalité quotidienne sujette à répétition. Sur le versant intime, le journal fait état des doutes, des faiblesses, des fragilités et des espoirs de l’écrivain2. Sur le versant mondain, on découvre la chronique inquiète d’une actualité peu enthousiasmante et l’affirmation, pour y faire front, de la nécessité de la littérature3. La saveur singulière de ces notations assez souvent déprimées, la drôlerie qui en atténue l’amertume et récupère in extremis la larme en clin d’œil, vient du dessin. Pessan s’amuse à y littéraliser les métaphores4 en leur donnant corps avec un humour plein d’inventivité. L’image associée opère ainsi en puissant hors-texte ; l’allégresse du dessinateur fonctionne comme le plus sûr antidote au pessimisme de l’écrivain.

La Hante est un texte de commande écrit à l’issue d’une résidence : on pouvait craindre le pire, mais non, impeccablement illustrée par Patricia Cartereau, la suite des textes de ce recueil explore sans faillir le territoire de la forêt du point de vue du chasseur et du point de vue de la bête qu’il y poursuit. Ni apologie de la chasse ni condamnation, La Hante cherche au plus profond des taillis ce lieu secret où les identités vacillent, où l’homme et la bête ne sont plus si aisément distinguables, où le désir et la mort échangent leurs rituels ainsi que ne cessent, à travers les âges, de nous le rappeler contes et mythes. Pessan interroge : Actéon a-t-il jamais saisi la chance qui lui était offerte ? Accepterait-il, quant à lui, d’ajouter une case à son journal dessiné : La littérature me sert à agrandir mon expérience du monde. Quel dessin pour cet aveu ?




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Parfois, je dessine dans mon carnet
Éditions de l’Attente
256 p., 22,50 €
couverture
La Hante
Illustrations de Patricia Cartereau
L’Atelier contemporain
176 p., 25,00 €
couverture

1. Ne pas oublier, aux éditions Al Dante, En voie de disparition, un essai corrosif sur la situation des écrivains, une espèce en voie de disparition.

2. Parfois je vois que tout se rétrécit. Parfois le relevé de mes ventes me déprime.

3. Parfois, je rêve d’un monde où l’art et la littérature n’auraient pas besoin du politique, mais où le politique aurait besoin de l’art et de la littérature. Parfois j’écris pour me réapproprier une vie dont la société me dépossède.

4. Cf. le dessin d’un panneau « déviation » sous le texte : Parfois, je passe à côté du texte sans le voir.