Rose Ausländer : Été aveugle / Pays maternel

 
par Létitia Mouze

Composé de poèmes écrits entre 1956 et 1963 à New York, où Rose Ausländer s’était exilée après la guerre, Été aveugle est son second recueil publié (le premier, de facture classique, date de 1939). Il signe le retour à la langue allemande, à laquelle la poétesse juive avait renoncé après 1945, et l’installation dans une nouvelle forme d’expression, où la rime et la ponctuation ont disparu. Le premier des trois cycles qui le composent évoque le quotidien à New York, où la poétesse occupa un emploi de secrétaire (« D’un seul coup te revoilà dans le fauteuil du bureau, / domptée par la voix du patron, pleine de zèle pour rattraper les minutes qui galopent »). La poétesse brosse des tableaux urbains sur lesquels planent l’exil (« Frère en exil / vêtu de journaux / tu évites le soleil »), l’ennui (« Heures d’immortel ennui / au bureau comme s’il n’y avait aucune / montagne d’airain aucun poème de feu / aucun amour élevé »), la solitude (« Une autre gamme habite / l’instrument : / une suite inaudible de / solitudes »). Dans le second cycle, la réalité new-yorkaise, et l’expérience singulière, cèdent la place à un lyrisme plus universel qui fait droit aux douleurs, aux nostalgies, aux interrogations humaines : « L’Atlantide toujours s’engloutit / à l’extrême de notre étonnement (…) l’Atlantide toujours étincelle / sur le rivage de notre cœur »). Le troisième cycle en revanche est composé de poèmes biographiques, enracinés dans le peuple juif et les images du pays natal – d’où provient peut-être la prédominance du vert, couleur récurrente dans l’œuvre de la poétesse (« Le village Duminika est vert / la rivière est verte / les bergers sculptent de vertes doinas / dans le souffle des flûtes »). L’ombre de la Shoah plane sur ces souvenirs de bonheur (« Ce fut un spectacle fracassant / un tableau en flammes / une musique de feu / Puis la mort fit silence / Elle fit silence »).

Le recueil Pays maternel parut en 1978. On y trouve le fameux poème du même titre qui apparaît rétrospectivement comme le mot d’ordre de la poésie de Rose Ausländer : « Ma patrie est morte / Ils l’ont réduite / En cendre // Je vis / dans mon pays maternel / Le verbe ». C’est bien de cela, de ce pays maternel qu’est le verbe, qu’il est question dans ces vers qui se simplifient, brefs, voire lapidaires, de plus en plus elliptiques, aux images immédiates, énigmatiques aussi, sans pourtant être hermétiques. La solitude s’y exprime et les durs souvenirs affleurent, « le deuil inextinguible » y résonne mais avec simplicité et sans aucune pose pathétique : « Je vis solitaire / Avec le chant ». La tristesse s’adoucit dans le renoncement et le recours aux valeurs de l’enfance : « Laisse-nous investir / Le clocher du conte de fées ». Le rêve, le conte sont des refuges, comme le dire poétique, voie de la consolation : « Écris / Il ne te reste rien d’autre / Offre ton souffle / À l’écho ».




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Été aveugle
Traduit de l’allemand par Michel Vallois
Héros-Limite
128 p., 17,00 €
couverture
Pays maternel
Traduit de l’allemand par Edmond Verroul
Héros-Limite
80 p., 15,00 €
couverture