Marc Alyn : Proses de l’intérieur du poème

 
par Christian Travaux

Sa prose est condensée, densifiée, saturée d’images. Il n’est pas simple de la lire, sinon s’aventurer dans le labyrinthe du langage, où les mots bougent, et fluctuent, tendent des visages qui portent des masques, ont des doubles, font des vagues, jouent et scintillent, se font souple pays d’images. Ses mots nous trompent, nous corrompent, nous ensorcellent, cherchent à nous tendre des pièges. Et nous, nous tombons dans leurs trappes, nous sombrons, nous perdons langage et devenons troubles à nous-mêmes dans un monde de miroirs noirs.
Ainsi Marc Alyn, dans ses Proses de l’intérieur du poème, une anthologie de ses proses qui fait suite à l’anthologie de ses poèmes en 2011. Ici, rien n’est clarté, ou tout est clarté illusoire, faux-semblant, ou monde d’images. Commencée dès son plus jeune âge, en 1957, avec Cruels divertissements, la pratique du poème en prose chez Marc Alyn s’est poursuivie à côté de sa poésie comme un trouble continent noir : une terre sonore, où le langage ne dit que lui-même, ses jeux, ses faiblesses, ses défaillances, et sa puissance. Telle expression du langage ordinaire devient, dans les mains d’encre de Marc Alyn, faux bijou, lampe qui n’éclaire pas, route qui mène à deux chemins, labyrinthe, grotte illusoire. Tout s’effrite à la seconde phrase. Et le langage, qui tant raisonne qu’il résonne ordinairement, se met soudain à déraper hors des sentes de la pensée.
D’étranges landes, d’autres rives semblent atteintes. Ainsi, Rimbaud, sans doute plus puissant, plus serré dans sa lutte avec le langage, sa prise au corps. Ainsi, bien plutôt, Max Jacob, qui, dans Le Cornet à dés, recommande qu’un poème en prose soit « situé », c’est-à-dire placé en orbite (telle une planète de langage, un astre libre). Qu’un poème puisse avoir – et même plusieurs poèmes – le même titre. Ou encore qu’un récit de rêve puisse être l’amorce d’un texte où, tout soudain, lâcher la bride à la langue et à la raison. Chez Marc Alyn, il y a du cornet à dés comme de l’arlequin trismégiste, du jeu de cartes ou de tarots comme de la rencontre hasardeuse d’une machine à coudre, sur une table de dissection, et d’un parapluie.
Une grande partie de ce recueil est, toutefois, constituée des poèmes les plus récents : « Le Miel de l’abîme », ou bien « Le Tireur isolé », et ceux qu’il nomme encore ici – dans un autre jeu de miroirs – les « Proses de l’intérieur du poème », des inédits. C’est un peu dommage, peut-être, que l’anthologie ne retrace pas tant un parcours poétique de soixante années d’existence qu’elle ne mette en lumière les textes les plus récents de son auteur. Mais c’est, sans doute, comme alors dans La Combustion de l’ange, son anthologie poétique, là encore, de Marc Alyn, le choix de ne pas s’enfermer dans un genre, une nécrophilie. De s’échapper, comme sa prose invite à le faire à chaque fois, par la fenêtre du langage.
Celle ouverte de l’intérieur.




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Préface de Pierre Brunel
Le Castor Astral
272 p., 18,00 €
couverture