Gertrud Kolmar : Mon enfant

 
par Claudine Galea

Comme s’il fallait beaucoup rêver durant ces années 1930 en Allemagne. Beaucoup rêver non pour fuir, mais pour s’écarter du désastre auquel la population juive était condamnée. Pour différer du destin, pour continuer à bâtir un royaume de beauté et de liberté dont les tyrans étaient en train de priver hommes, femmes et enfants. Rêver d’une robe d’amour, d’îles enchantées, d’une ville de lézard envahie par les crocodiles.
J’étais accrochée dans les poutres raide, une chauve-souris / Je le laisse tomber dans l’air et je prends mon envol.
Il faut du moins beaucoup de force et de hauteur de vue pour déclarer être une friandise dans la coupe de la nuit ou encore Je suis très heureuse. Rêve entre les landes. / À ma tête l’amour, à mes pieds la nielle des blés.
Les poèmes de Gertrud Kolmar défient la loi et la mort. L’enfant du titre est tout ce qui vit, tout ce qui palpite et s’envole, Mon enfant est un petit oiseau qui danse.
L’extrême détresse ne peut être d’abord combattue que par la joie, par le mépris de la mort et du mal, par la métamorphose des images. Non pour fuir, répétons-le, mais pour espérer encore.
C’est déchirant quand on sait ce que fut la Shoah, quand on sait que Gertrud Kolmar fut assassinée à Auschwitz, elle et tous les autres. Maintenant une onde blême de flocons mousse à la cime des pins ; / Ils sont là, obtus et vieillissants.
« Cet esprit de l’oiseau » habite les poèmes de l’écrivain allemande, ses visions merveilleuses condensées dans le poème « Promenade », qu’il faudrait citer en entier : Viens allons dans le jardin / Où paissent les petits animaux de velours / Où, sur des parterres bien ratissés, se dressent, élancées, / Une foule de poupées de soie jaune et lilas.
L’enfant du titre est l’enfance maintenue jusqu’au bout, contre l’asservissement et le néant, jusqu’au bord blême de la terre, jusqu’à la folie qui guette.
Au fil du livre, les images noircissent, l’obscurité envahit la langue, l’impuissance à dépasser l’horreur par la poésie est manifeste, et cependant, jusqu’au bout, de sa langue, avec force et pudeur, Gertrud Kolmar décrit les pleurs de violette d’un berceau / Posé dans des rêves verrouillés.




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Traduit par Sibylle Muller
Édition bilingue
Circé
96 p., 11,50 €
couverture