Giorgio Agamben : Le feu et le récit

 
par Pierre Parlant

Tout commence par une allégorie, celle de la littérature. L’empruntant à Scholem, Giorgio Agamben en dérive que le récit est né d’un oubli progressif du mystère initial – trouver un lieu, y faire du feu, méditer. De cet oubli procède la culture en tant que perte de la tradition et tentative d’en retrouver la trace. D’où l’ambivalence du mot « histoire » qui renvoie au « cours chronologique des affaires humaines » autant qu’à leur mise en intrigue. C’est à l’artiste qu’incombe cette tâche. Agamben en vient alors à poser la question qui intéresse cette suite de dix essais : « qu’est-ce que l’acte de création ? » Il rappelle la réponse que Deleuze avait donnée en revenant justement sur l’idée de « résistance ». Sollicitant les catégories aristotéliciennes de « puissance » et d’« acte », Agamben repense ce mouvement de « résistance », effectif dans l’acte créatif. Apparaît ici que l’artiste n’est pas celui qui détient une « puissance de créer, qu’il décide, à un certain moment [...] de réaliser et de mettre en acte », mais bien plutôt celui qui expérimente en créant la « puissance-de-ne-pas ». C’est vrai en littérature – Kafka –, en peinture – Titien, Velasquez –, et en poésie. Un vers de Dante sert d’appui : l’artista / ch’a l’abito de l’arte ha man che trema [« l’artiste / qui a l’usage de l’art a la main qui tremble »] pour mettre au jour la « double structure » de « tout processus créatif authentique » soumis à « deux poussées contradictoires : élan et résistance, inspiration et critique ». Cette dialectique, le poète la connaît. Elle met en jeu la force impersonnelle précédant toute subjectivité et la dimension personnelle qui « lui résiste obstinément ». « Impersonnel » est donc le nom de ce qui incite à œuvrer ; « puissance-de-ne-pas », celui de la « résistance » qu’oppose l’individu à cette force impersonnelle moyennant ce qu’Agamben nomme un « désœuvrement ». C’est ce reste désœuvré, cette part inactivée qui « rend possible la pensée de la pensée, la peinture de la peinture, la poésie de la poésie ».




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Traduit de l’italien par Martin Rueff
Rivages
168 p., 16,50 €
couverture