Gérard Arseguel : Le petit bois qu’aimait Gérard

 
par Frédéric Valabrègue

C’est par épisodes de deux ou trois moments et comme un feuilleton que nous parviennent les proses ariégeoises, des plaquettes d’une vingtaine de pages, des carnets sobres avec parfois une vignette dessinée, sans que nous puissions saisir l’ensemble d’un livre qui s’enfonce dans l’enfance des matières dont la hyère (l’aire de battage) et la souillarde (l’arrière-cuisine) sont le carrefour et la matrice. L’ensemble, attendu pour plus tard, ne nous manque pas parce que le texte reste sur un point, un trou noir où se régénère la mémoire et l’instantanéité des sensations. Les moments titrés, presque proèmes, sont en attente d’autres et peut-être pas du livre devenu une ambition superflue tellement il n’y a pas de limite à sa géographie pourtant circonscrite au timbre-poste. C’est un territoire qui s’étend vers le dessous par ses sédiments et ses strates et dont nous n’aurons que des fragments. Nous n’aurons pas non plus la généalogie de la famille malgré les indications de Gérard. L’enfance est frontale et elle explore l’élémentaire, mais elle le fait en myope tellement tout est proche, premier, entier. Les épisodes titrés sont des morceaux sans chronologie ne formant ni mosaïque ni puzzle mais tournant sur eux-mêmes. C’est une diffraction de pays et d’enfance dont les chromos les plus lumineux sont attaqués par le manque et l’inquiétude. Tout est clair dans le rendu et la mémoire n’est pas tremblée. C’est un « du côté de Bourrut » sans brume où le fusil du père pourrait pointer l’enfant comme il le fait avec un écureuil. Les morceaux disent avec les gestes et les choses la violence des sensations. Ils les disent avec des matières, des objets. Ce n’est pas l’enfance forcément mélancolique quand on croit l’avoir perdue, plutôt la façon violente dont la vie au présent apparaît dans son aspect mortel. Le je de Gérard est circonscrit comme le petit bois de la Bouscarre. Il dit l’enfance par sa gravité appliquée et silencieuse. C’est un je en creux, une zone de résonance aussi bien racontée par la parenté qui l’entoure que par le premier livre de lecture, les illustrés et les pages choisies. Cette zone de résonance accueille ce qui fait de l’enfance toutes les enfances. L’esprit de découverte en est le trait commun : celle d’un objet comme la rallonge, d’un lieu particulier comme le raccourci. La rallonge et le raccourci. Le mot a son chemin de traverse. Rien que la façon dont « la demi-sœur » est écrite en chiffres comme une demi-portion sur une boîte à fromage, on a à la fois le cahier d’écolier et la cruauté des choses tordues.




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Proses ariégeoises (13.14.15), (16.17.18), (19.20.21)
Dessins de Michel Giraud
Éditions Larifla!
3 volumes de 24 p., prix non indiqué
couverture