Gérard Macé : Homère au royaume des morts a les yeux ouverts

 
par Sébastien Hoët

« Je n’ai jamais tué personne / et j’attends la mort », Gérard Macé commence ainsi le poème qui clôture son beau livre crépusculaire. Poème qui reprend en traits durs les lignes qui ont traversé le recueil : « Pourtant je vais mourir, mais la mort / ne mettra pas mon poids dans la balance » car le poète se sent « trop léger pour réparer les injustices et le chaos / né trop tard pour être offert en sacrifice ». Dès le début du livre, on parcourt les enfers grecs, cet espace de la désolation, de la solitude, pour ceux-là même qui y règnent, on se rappelle de belles légendes, mais d’une beauté fanée, l’enfant divin n’est désormais qu’un « vieil enfant » (p. 21) ressassant des souvenirs que personne ne comprendra plus. Le monde, le vrai monde voudrait-on dire, celui de la beauté et du sens, n’est plus que « restes » – mot répété qui dit bien l’état poignant du recueil qui les rassemble et leur donne leur dernier lustre avant une extinction, un silence, définitifs. La parole doit être arrachée à l’oubli qui n’est pas que le revers de la mémoire ou de la présence, mais désigne surtout une force négative profondément désœuvrante, au sens que Blanchot fit résonner dans l’affirmation propre à l’œuvre : « Celui qui voulait se souvenir de tout / n’est plus que l’ombre de lui-même : / devenu le souffleur de son propre rôle, / il a besoin d’un livre ouvert pour retrouver la parole. » (p. 29)
Le recueil ne compose pas, cependant, un requiem, ou une élégie, même si les morts y sommeillent, même s’ils pleurent dans la neige. Gérard Macé donne de très belles pages d’écoute de la pluie, de vision d’une balançoire au bout d’une branche, et parfois une montagne lointaine se déplace et visite le rêve d’un lettré chinois, parfois résonne ce son mat, comme disait Barthes, que rend le haïku, qui nous bouleverse et suspend notre attention. La fin est belle, la fin de tout, la fin est douce, même si elle est terrible.




Share on FacebookTweet about this on TwitterPin on PinterestShare on TumblrEmail this to someone
Le Bruit du temps
80 p., 16,00 €
couverture