Clémentine Hougue : Le Cut-Up de William S. Burroughs, Histoire d’une révolution du langage

 
par Hervé Laurent

Retour sur une invention – due à Brion Gysin, puis exploitée et systématisée surtout par William Burroughs – qui a profondément et durablement modifié le rapport aux textes, et d’abord au texte littéraire puisque ce dernier, au lieu de s’ajouter à la glose généralisée, devenait capable de l’incorporer mais en la taillant en pièces avec une violence d’arrachement encore jamais expérimentée. La comparaison avec la technique du détournement théorisée et mise en pratique par les Situationnistes permet d’inscrire le cut-up dans un contexte plus clairement politique, au risque cependant de limiter sa portée à une guérilla du langage, là où Burroughs et Gysin ont sans doute visé une désorientation avant de penser à une réorientation. Le détournement confisque une signification au profit d’une autre qu’il lui substitue immédiatement et de manière critique en mettant au jour les ressorts idéologiques de la première. Le cut-up provoque, pour sa part, un retard quasi duchampien, un effet de sidération par la mise en suspens du sens. Ce moment singulier, Clémentine Hougue l’analyse par ailleurs finement, en se référant tour à tour à l’outillage conceptuel que lui fournit le Deleuze de Différence et répétition, et à l’approche déconstructiviste poursuivie par Derrida dans De la grammatologie.

Pourtant, la postérité de ce geste radical est traitée en une bien trop maigre conclusion dans laquelle ne sont mentionnées aucunes des pratiques contemporaines du texte qui gagneraient à être analysées à la lumière de cette filiation. Rien, et c’est dommage, sur les techniques de mixage et de sampling – je pense, en particulier, à Patrick Bouvet. Rien encore au sujet des mises en jeu sophistiquées de sources disparates que pratiquent des auteurs qu’intéressent particulièrement la notion de « désauteurisation » telle que l’opère, par exemple, Bénédicte Vilgrain. Nul doute que le caractère révolutionnaire du cut-up trouve dans ces prolongements une actualité qu’il eut été passionnant de problématiser.




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Les Presses du réel
« L’écart absolu »
416 p., 26,00 €
couverture