par Siegfried Plümper Hüttenbrink
La troisième livraison des Cahiers consacrés à la mémoire de Maurice Blanchot est toujours aussi vivace et exigeante. Elle tient même du sacerdoce pour ses fidèles. Divers intervenants y traitent des liens qui durent se nouer entre Maurice Blanchot et Philippe Lacoue-Labarthe autour du secret et de l’aveu, tout comme de la figure tutélaire d’Eurydice. Tenue pour morte, on sait qu’elle dut revenir brièvement à la vie, et ce en morte-(re)-vivante. Cette traversée orphique de sa propre mort, Philippe Lacoue-Labarthe nous rappelle qu’Homère l’avait déjà appréhendée sous la forme de la Nékuia, et qui sera donnée à Ulysse de vivre au cours de sa descente aux Enfers. Au delà d’une expérience initiatique qui se joue entre vie et mort, elle constituerait aussi au dire de Philippe Lacoue-Labarthe le mythe fondateur de la littérature, sa scène originaire, et qu’elle serait vouée à rejouer sans fin avec celui qui, écrivant, s’avère d’ores et déjà tenu pour mort ou disparu en elle, et ce de son vivant.
(Curieusement on sait que Maurice Blanchot et Philippe Lacoue-Labarthe passèrent par cette épreuve de revenance à l’approche de leur heure dernière. Tous deux étant tombés dans le coma, ils durent inexplicablement revenir à la vie pour un bref délai avant de mourir définitivement. Ce répit qui leur fut accordé en forme de parenthèse constitue du reste le nœud de l’intrigue de L’Arrêt de mort, récit sur lequel Maurice Blanchot laissera planer l’ombre d’Eurydice, tout comme celle de Laure, qui fut la compagne de Georges Bataille.)
Une autre partie de cette livraison gravite avec Jean-Luc Nancy, Étienne Balibar et Danielle Cohen-Lévinas autour du passé politique de Maurice Blanchot dont on sait qu’il dut initialement se situer dans la mouvance de l’extrême-droite maurasienne, avant de virer de cap et de passer à l’extrême-gauche soixant-huitarde. On suppose que cette conversion, pour laquelle Philippe Lacoue-Labarthe use du mot de compassion, dut survenir selon toute probabilité en 1940, suite à un événement crucial lors duquel Maurice Blanchot faillit être fusillé par un peloton d’exécution et qu’il relatera sur la fin de sa vie avec ce récit en forme de témoignage qu’est L’Instant de ma mort.
En appendice, on pourra encore signaler un article polémique de Michael Holland venant en réponse aux diffamations d’un numéro de la revue Lignes (consacré aux « politiques » de Maurice Blanchot). Plus précisément, il s’en prend à Michel Surya qui dresse un réquisitoire presque inquisitorial, en terme de faute de pensée, de rachat et de grâce, du parcours politique de Maurice Blanchot. Un parcours qui continue à aviver les débats, sans doute parce qu’il joignit dans sa véhémence inconciliablement les extrêmes au mitan du XXe siècle. Que Maurice Blanchot n’ai pas su ou voulu s’en expliquer publiquement est certes à porter à son discrédit, mais loin de déconsidérer l’ermite solitaire qu’il deviendra les trente dernières années, vivant retiré du monde, et non loin de ce fief janséniste que fut Port Royal.