Martine Broda : lettre d’amour

 
par Isabelle Garron

Pour l’innomé

Chacun des poèmes de la lettre tendue serait un feu, une part d’incandescence donnée comme en rappel de la disparition brutale de leur auteur en 2009 ; elle souveraine parmi ses contemporains du fait de son attachement à ce que la lyrique amoureuse portée au plus haut degré de l’exigence créatrice rend au poème. Cette nouvelle parution de la collection « maigre » des Éditions Fissile nous rappelle également à quel point le chant d’amour n’a besoin d’une somme importante de feuillets pour répandre la poudre de son tourment ; de même pour livrer les formules dépossédées de cet enchantement que seul l’intime-voyant cherche à traduire afin de toujours davantage correspondre. Correspondre jusqu’à l’écrire. Rejoindre l’aimé dans la lettre, adossant au « lieu d’adresse » l’espérance d’un pouvoir : celui de la tentative vaine de délivrance ou d’apaisement de cette conscience de l’absence du présent rencontrée dans l’amour. Une telle absence se donne – ici – en variations de poèmes, aggravée, sublimée, mouvement après mouvement, « d’étoile seule vers l’autre étoile seule » a-t-elle écrit. Ainsi de la dédicace pour l’innomé (bien loin en ce sens des Poèmes d’été, Flammarion, 2000) au dernier vers du livre composé qui achève de tracer : « le lieu véridique, le véritable amour », le lecteur prend la mesure de l’effraction dans le réel, à laquelle il assiste et prend part. Car ce qu’il lit ne se soucie plus de l’apparence du poème ni de son respect arbitraire de règles métriques. Ce qu’il découvre au singulier de la lettre, c’est d’abord l’insistance d’une langue qui ne cesse ; ne cesse de penser le corps qui la hante.

 




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Fissile
« maigre »
24 p., 6,00 €
couverture