Franck Leibovici : Henri Michaux : voir (une enquête)

 
par Jean-Pierre Cometti

Ce livre est exceptionnel, tant par son objet que par les démarches qu’il met en œuvre. Son objet : les dessins de Michaux, environ 10 000, dont seule la moitié a été recensée à ce jour. Ses démarches, celles de l’enquête, centrée sur une question majeure et élémentaire : comment voir les dessins de Michaux ? Car s’il est une œuvre qui pose cette question, c’est bien celle de Michaux, avec toutes les implications ou les spéculations qu’on imagine quant à son rapport aux textes de l’auteur, pour des raisons qui ne sont pas seulement « esthétiques » ou « poétiques », puisque l’élaboration d’un catalogue raisonné, auquel Franck Leibovici travaille depuis plus de treize années y trouve également sa condition.

L’ouvrage (superbe) ne réunit pas moins de 540 reproductions d’huiles, aquarelles, gouaches, encres, etc., sur des supports variés, présentées et analysées au fil d’une question dont on s’aperçoit très vite qu’elle n’est simple qu’en apparence, car les perspectives qu’on pourrait imaginer, qu’on s’en remette aux ressources de l’interprétation, à des considérations de nature formelle ou aux arcanes de quelque langage privé, montrent aisément leurs limites. Franck Leibovici, qui s’en explique très clairement dans l’Introduction de l’ouvrage, montre, au contraire, tout le bénéfice qui peut être tiré d’une enquête, au sens pragmatiste et quasi ethnologique du terme, quitte à récuser les schémas les plus naturels ou les mieux établis en apparence, comme celui qui oppose la position du spectateur à celle du créateur.

Je ne peux malheureusement qu’en indiquer les orientations, mais cet ouvrage qui devrait ravir quiconque s’intéresse à Michaux présente aussi, entre autres vertus, celle d’ouvrir la voie à des modes d’investigation dont Franck Leibovici a défendu par ailleurs le principe1, en situant les œuvres dans leur « écosystème » et en montrant, comme c’est le cas ici, comment s’y conjuguent « relationnellement les infrastructures de ce qu’on appelle le “monde de l’art” et le “monde de la littérature” ».




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couverture

1. Cf. F. Leibovici, Des formes de vie,une écologie des pratiques artistiques, Questions théoriques, 2012.