Yves Bonnefoy : L’Heure présente / Shakespeare : Théâtre et poésie

 
par Narciso Aksayam

L’eau monte, et que faut-il, dans le jardin d’hiver forgé de formes vaines, faire du pli de nos paupières, battues de lumières trop fortes maintenant, et du tremblement de nos lèvres, incertaines à laisser fuir un souffle qui n’a plus de Saveur que le souvenir ? Des éons semblent s’être éboulés depuis les présences de la Dame-Louve jusqu’à cette clameur, presque sans violence, de l’individuelle détresse d’avoir duré ; visages d’enfants, maisons isolées, vieilles photographies inquiètes… tout se dissipe, se défait, s’efface, se charrie d’impuissance, en une prosodie de valse lente, qui s’embrase encore de l’évidence du monde, soudain, Pastorale surprise au suspens des fourrés, éclair de Finitude ouvragé dans le vif-argent de la Forme. Sous le pas de l’Aïeul en amont de nous tous, instruits comme rarement nous fûmes, dans le Soir nous t’entendons encore, Enfant d’existence ! Je te regarde. Tu es un appel, chancelante célébration frémissante aux commissures, Page d’un cortège hymnique aux échos nervaliens, Tu es l’aperture de la Nuit, entrebâillée par le poème dans la ligne de l’Idée. Assurément moins solitaire qu’elle ne fut, plus pédagogue, jusque dans ses salves de sonnets peu rimés, jusque dans ses insistances de mythes1, la poésie d’Yves Bonnefoy demeure2. Et de Shakespeare, elle est intimement habitée. Il circule en elle3 aussi bien que la quête qui l’anime, d’une forme supérieure de la Manifestation et de l’engendrement d’une façon d’être au monde par les contraintes poétiques, lui permettant d’éclairer l’art des Sonnets de 16094. Car sa compréhension de traducteur est de démasquer derrière l’étrange rhétorique qui le vêt, le dilemme terrassant qui oppose la Forme où se densifie le Sens et l’intériorité immense de la vie qui échappe, si elle n’y meurt, à l’ordinaire désir de possession et de jouissance qui fait corps avec nos concepts. Dans ce cisaillement qui est la Poésie elle-même, un compagnonnage de finitude tient son travail, là où ne cesse de s’amuïr cet Aleph de la Présence qu’il nomme le Digamma5.










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L’Heure présente
Gallimard
« Poésie »
336 p., 9,70 €

Shakespeare : Théâtre et poésie
Gallimard
« Tel »
364 p., 14,90 €

couverture
couverture

1. Danaé, Psychè, Éros, Hécube, Didon, Ève, Pomone, Dieu lui-même, figurent entre les signes.

2. Dans le sens le plus aigu que sa génération ait pu incarner, elle qui greffa l’Ontologie heideggérienne sur l’Inconscient surréaliste.

3. Vénus & Adonis, Hamlet & Ophélie, Desdémone & Othello arpentent son imaginaire.

4. Le recueil des préfaces à ses traductions rassemble également des chapitres de son Shakespeare et Yeats (1998).

5. L’Heure présente (2011) et les sonnets de Raturer outre (2009) sont accompagnés de La Longue Chaîne de l’ancre (2008) et de Le Digamma (2012).