Alejandra Pizarnik : Arbre de Diane / Les perturbés dans les Lilas

 
Par Alain Cressan

Les éditions Ypsilon poursuivent avec ces deux volumes la publication des œuvres complètes d’Alejandra Pizarnik (1936-1972). Deux livres pivots puisque le premier, publié en 1962, « montre la volonté de faire le point sur son parcours » (premier rabat de couverture) et le second, posthume, est la « première ŒUVRE (le mot est essentiel) théâtrale » de l’auteur1.
Préfacé par Octavio Paz, qui évoque métaphoriquement la chimie et une alchimie mythique2, et composé en quatre parties, Arbre de Diane présente des textes très brefs, dont une lecture trop rapide ne rendrait pas la densité magistrale et fragile : le genre de la « miniature » qu’évoque Jacques Ancet dans sa postface. Le poème qui ouvre le livre « chant[e] la tristesse de ce qui naît », la déchirure initiale « celle de vivre », nous dit Ancet. Un lexique minimal revient souvent, dans des variations paradoxales et répétitives, jusqu’à atteindre une forme magnifiée de litanie en réduction (p. 32) : mort, trou, nuit, amour, silence, ombre, mémoire, miroir… pour parvenir à saisir « une minute de vie brève / unique aux yeux ouverts », dans la « peur de ne pas pouvoir nommer / ce qui n’existe pas ». Comme sur le fil de ce qui se situerait, brillant, au centre de l’acte de vivre, ce mystère qui tient tout le livre. Le regard est miroir, « chemin du miroir : / quelqu’un qui dort en moi / me mange et me boit. ». D’où une dichotomie des pronoms je et elle qui traverse l’ensemble, mémoire-miroir où « les paroles oubliées résonnent magiquement » « pour notre triste transparence ». On saisit alors mieux ce cheminement, « d’ombre en ombre », par sauts, « sa fornication de noms qui poussent seuls dans la pâleur de la nuit. » L’Arbre de Diane, comme l’objet chimique, est un objet étrange et scintillant.

Les perturbés dans les lilas est, donc, un texte théâtral situé dans la lignée du théâtre de l’absurde, avec ce qui s’y adjoint en termes de « déchirure » ‒ une réécriture de Fin de partie de Samuel Beckett, ce que signale Étienne Dobenesque dans une postface particulièrement éclairante. Cette intertextualité n’est pas la seule : Pizarnik réécrit en abyme la scène du « poumon » du Malade imaginaire, dans un absurde plus joyeux (on trouve aussi une référence au Bourgeois gentilhomme, et à d’autres classiques européens) : « Voilà ce que j’ai : la calligraphie des ombres comme héritage. » Le corps, le sexe sont des motifs récurrents, qui se mêlent à ceux de l’ombre, du miroir, dans une continuité. Le tricycle3 bringuebale tout au long de la pièce, comme un tiers indispensable, enfantin et instable, comme un reflet de la condition humaine : « Moi, la tricycliste, je suis une métaphysique dans l’ombre. […] Jour de miroirs brisés », dit Sigismonde, double de l’auteur4, qui laisse cependant le dernier mot à un autre personnage, Carol : « Sig, je ne veux pas parler : je veux vivre ». Sur le fil.




Share on FacebookTweet about this on TwitterPin on PinterestShare on TumblrEmail this to someone
Arbre de Diane
Traduit par Jacques Ancet
Ypsilon éditeur
86 p., 17,00 €

Les perturbés dans les Lilas
Traduit par Étienne Dobenesque
Ypsilon éditeur
72 p., 17,00 €
couverture

couverture

1. Comme elle le note dans son journal (10 août 1969).

2. L’arbre de diane est le résultat d’une manipulation chimique, par oxydoréduction, qui a été utilisée par les alchimistes.

3. Le premier titre envisagé pour la pièce était Los triciclos.

4. Sig écrit une « œuvre théâtrale » (p. 49, je souligne).