1. « Pissy. Marre », France romans, p.79
2. L’entrée « Lurs », p. 16-18, bénéficie de la notice la plus étoffée. Elle consiste dans un relevé chronologique des déclarations des témoins de l’assassinat perpétré dans la nuit du 4 au 5 août 1952 et connu de toute une génération (à laquelle j’appartiens ainsi que l’auteur) comme « L’affaire Dominici. »
3. La clé Personnes pouvant être incorporées à des milices d’autodéfense, groupes paramilitaires d’intervention, sections renseignements et interrogatoires reprend la totalité des professions et des états civils cités dans l’ouvrage, d’Abbé à zoologiste. La douce France qui chante dans les noms de ses plus humbles villages se voit ainsi ramenée à un ordre de réalité moins réjouissant, sans doute plus actuel.
4. Il faudra, sur ce point, lui faire confiance, même si on est troublé par certains faits rapportés : « Saint-Même. 1945 : 252 habitants. 1975 : 252 habitants. 2010 : 252 habitants. » p. 110.
5. Prototype de roman pour France romans : « 126. Fuyant Poissy et des familles sévères à leurs amours, Maurice L… et Gabrielle R…, 20 et 18 ans, gagnèrent Mers et s’y tuèrent. » Félix Fénéon, Nouvelles en trois lignes. Le texte est disponible gratuitement en ligne.
6. « Est-ce parce qu’on n’enfonce pas le clou qu’on à l’air de ne pas y toucher ? » semble demander, pince-sans-rire, Espitallier.
7. Tourner en rond, p. 121
par Hervé Laurent
Jean-Michel Espitallier est de retour avec deux livres dont les sujets se complètent. France romans liste quelques trois mille cinq cents noms de villes et villages. Chaque nom donne lieu à une courte notice (allant d’un mot unique1 à une page et demie2. La brièveté est donc de mise, ce qui n’empêche pas l’auteur de voir dans ces fragments autant de nano ou micro – au mieux mini – fictions. Mais France romans, c’est aussi et d’abord le poème constitué de tous ces noms propres. Bien qu’annoncé comme un index en page de titre, le classement échappe à l’ordre alphabétique. Cet index, est lui-même pourvu d’un index (! – p. 155 et suivantes), lequel permet de revenir au contenu des notices, non sans malice3, mais pas aux noms propres. Reste à feuilleter au hasard cette suite, avec le désagréable sentiment de ne pouvoir y retrouver le village qu’on cherchera mais le plaisir d’y découvrir ceux qu’on n’y cherche pas et d’y retrouver ceux qu’on aurait pu y chercher. Côté romans, tous sont élaborés à partir d’informations plus ou moins officielles réunies avec patience par l’auteur4. Le fait divers y ayant la part belle, on ne peut s’empêcher de penser qu’Espitallier n’a pu s’empêcher de penser à Fénéon, même si son Mer n’est pas le Mers des Nouvelles en trois lignes5. De fait, l’un et l’autre auteurs ont en commun le souci d’explorer la matière poétique du monde par l’exercice d’une pensée libertaire agile à débusquer dans la diversité du quotidien les figures inquiétantes du dogmatisme. France romans, sous ses airs de ne pas y toucher6 n’est dupe d’aucun folklore identitaire. La France y reste un projet, ou plutôt des projets puisqu’elle s’offre, avec ce livre, non pas un scénario (mot cher désormais aux politiques) mais des romans pour continuer. Pas question, donc, de tourner en rond. C’est ce que ne fait pas Espitallier, derviche (dé)tourneur, dans son essai sur les ronds-points. Si le rond-point l’incite à la digression, la digression le rend, tour à tour (!), philosophe, économiste, politologue, métaphysicien ; puisque poète, il l’est déjà. Et de conclure : « (…) chaque rond-point nous met sur la route de tous les ailleurs. »7 Espitallier on the road again !
De l’art d’aborder les ronds-points
Presses Universitaires de France
132 p., 12,00 €