par Luigi Magno
Cette anthologie-manifeste réunit les vers, ainsi que quelques poèmes en prose, de plus d’une centaine de poètes du monde entier (tout époque et pays confondus). Regroupés sans apparente logique en 22 sections, les matériaux qu’on y trouve relèvent d’une extrême diversité thématico-formelle. Si ce choix ne va pas sans le risque de désorienter sérieusement le lecteur, quelques soubassements fondateurs se dégagent pourtant du magma.
D’abord – et en vrac – l’adhésion inconditionnée à une vie « insoumise », ainsi qu’à une certaine immanence (« Pour vivre ici », Paul Eluard). Ensuite l’idée d’une poésie efficace, capable d’opérer un changement des conditions de vie (« J’écris pour mieux vivre », Saint-John Perse) qui passe par un changement des consciences (« La poésie peut encore sauver le monde en transformant la conscience », Lawrence Ferlinghetti). Malgré tout l’intérêt qu’un lecteur attentif se doit de porter aujourd’hui à une poésie dite politique, on regrette ici l’adhésion à une certaine métaphysique qui, sans entacher la réussite de la tentative anthologique dans une perspective d’histoire de la poésie, démultiplie et désamorce la portée impactuelle du livre. D’une part on assiste à la réitération forte de cette vieille idée romantique du poète Prométhée, voleur de feu, oracle de la vérité, génie tourmenté, dont la parole serait essentiellement juste, euphorique et vitale. D’autre part la presque totalité des textes relèvent d’une vision de l’engagement qui s’ancre difficilement dans les modes de vie de notre temps. Enfin, tous les textes se trouvent groupés sous l’égide de la formule hölderlinienne / heideggerienne de la poésie comme façon d’habiter le monde, une façon d’être ontologiquement (présent) au monde, à savoir l’outil privilégié d’une relation sensible au monde.
Ces partis pris n’expliquent guère où demeure et comment se déploie l’efficacité de cette poésie, voire de cette anthologie. Davantage, ils ne permettent pas de rendre compte de ce qui se passe dans la poésie actuelle en termes de redéfinition, sur des bases pragmatistes, des relations entre poésie et politique. Par ces choix théoriques ce « manifeste » évacue malheureusement ce qui est relatif à l’action et au fonctionnement pratique, en passant sous silence toutes ces poésies qui, présentes au présent, veulent, par d’autres voies et avec d’autres moyens, tout aussi bien en découdre, politiquement.
Bruno Doucey
248 p., 19,00 €